Et si La servante maîtresse faisait soudain sensation, sur les traces de sa grande demi-sœur italienne, La serva padrona, qui a tant bouleversé l’art lyrique national en son temps ? Présentée à Reims avec modestie, pour un seul mardi soir d’hiver, la nouvelle production du célèbre intermezzo de Pergolèse adapté, en français par Pierre Baurans en 1754 [lire notre chronique du 5 septembre 2009], ressemble, sur l’échelle historique de l’opéra français, à un simple petit barreau léger mais qui, original et ambitieux, se brise par surprise et nous entraîne tout en bas ou tout en haut, enfin dans cet ailleurs si familier, paradis terrestre ou horizon perdu, qu’est une vraie réussite artistique.
Il y a comme une secousse grisante dans l’Ouverture, un peu longue et en forme de boucle, jouée par l’Ensemble Akadêmia sous la direction et la double impression de sérieuse précision experte et de sincère plaisir d’amateur de la cheffe Françoise Lasserre. Première surprise, d’entrée ! Ce n’est pas Pergolèse qui nous reçoit, mais un morceau savamment choisi du Jaloux corrigé de Michel Blavet (1700-1768), petit opéra-bouffe français, premier né du genre, en 1752, sous l’influence de La serva padrona.
Plutôt habitués à cette dernière, les spectateurs découvrent l’accent français des chants conçus en italien, les rimes d’un livret assez typique du XVIIIe siècle, les costumes plutôt contemporains, le principe à la fois fort ludique et très exigeant de la mise en scène par la Cie Émilie Valentin, soit du théâtre de marionnettes dans le théâtre de marionnettes… Il se révèle ainsi, comme de nouveau, devant un opéra, une humble et noble ambition de création.
Un moment dessiné en ombre chinoise, le personnage-clé de Zerbine est, dans le décor du petit atelier de bric et de broc, une jeune ménagère portant attention aux marionnettes confectionnées par son employeur Pandolphe et le disciple muet Scapin. Pour l’incarner, le soprano Harmonie Deschamps se montre excellente comédienne, sûre de sa voix et de son physique charmant, vive et enjouée dans ses airs et dans ce petit monde théâtral qui s’anime de plus en plus. Au bout des fils les petits personnages – de superbes êtres de bois et de tissu, d’époque – imitent parfois leurs créateurs grâce, notamment, au talent du Scapin de Jean Sclavis, cosignataire de la mise en scène.
Évident nœud de l’affaire, l’amour est d’abord exprimé par Zerbine, mutine quand la musique s’encanaille, puis sensuelle dans une confidence seule, agenouillée à l’avant-scène, et intimement accompagnée par le clavecin et le théorbe – musique étonnante que cet intermède, La servante maîtresse, dont les belles mélodies aux accents baroques bien soignés par Akadêmia ne doivent sûrement pas tout à Pergolèse.
Seule femme sur scène, dans une comédie à tendance érotique, Zerbine est un rôle tout à fait ardu, loin de seulement tirer de grosses ficelles selon la mise en scène riche en références psychologiques, sociales et culturelles d’Émilie Valentin, grande dame du monde de la marionnette. Face à elle, autre composition admirable, le baryton Matthieu Heim (Pandolphe) s’impose plutôt sur la fin, dans son dernier air Que sera donc enfin cet homme qui, justement, en toute clarté lyrique, affirme enfin dans les tourments de l’amour la fougue d’un personnage jusque-là un peu flou. Ensuite, plus intéressant encore, sa peur exprimée de manière comique mais non moins convaincante n’est pas évacuée dans le joyeux duo final, chorégraphié avec sa nouvelle promise Zerbine, dont il joue la marionnette. Pour tout dernier geste, Pandolphe décapite une marionnette féminine… Ah, si ferventes les mains tendues pour l’amour !
FC