Critique de l’Orfeo par-delà le Gange – Anaclase

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Orfeo par-delà le Gange spectacle de Françoise Lasserre
Arsenal, Metz – 1er octobre 2016
par laurent bergnach

 

Si l’année en cours célèbre le génie de Shakespeare (1564-1616) – en particulier à Budapest, avec des ouvrages tels Otello, Sly et Lear [lire nos chroniques du 27, du 29 et du 31 mai 2016] – et la folie d’un anti-héros créé par Cervantès (1547-1616), la figure d’Orphée envahit tout autant la scène, que la vision lyrique en soit signée Telemann, Monteverdi, Gluck ou Rossi [lire nos chroniques du 9 juillet, du 13 mai, du 31 mars et du 4 février 2016]. Comment le fils de Calliope, poète et musicien, pouvait-il laisser indifférent qui vouât sa vie à l’art d’adoucir les mœurs ?

Conçu par Françoise Lasserre, fondatrice d’un ensemble Akadêmia aujourd’hui trentenaire, Orfeo par-delà le Gange (2013) repose sur l’œuvre du natif de Crémone (1567-1643), Orfeo (1607), jouée sur instruments anciens par treize artistes aguerris (basses de viole, théorbes, cornets à bouquin, clavecin, lirone, etc.). Pas entièrement, toutefois, puisque certains moments sont absents (fanfare initiale, finale apollonien, pour les plus évidents), laissant place à une musique venue de la République de l’Inde. Surplombant la fosse côté jardin, sept virtuoses font vibrer cordes (sarangi, tampura), peaux (tabla, pakhawaj) et anches (shehnai), offrant des interludes animés avec force et élégance par Arushi Mudgal, robe rouge et grelots aux chevilles – danseuse Odissi, qui célèbre un art classique venu de la côte Est.

C’est peu avant ses vingt ans que la cheffe commence à aimer ce pays d’Asie. Elle s’y investit de plus en plus, surtout sensible aux difficultés des plus jeunes, désireux de se former au répertoire occidental – ce soir, huit jeunes filles de la Vocal Academy of India forment le chœur des nymphes. Visant à souligner similitude de modalité, rapport à l’ornementation et sens de l’improvisation, elle réunit Orient et Occident autour d’une « tragédie imaginaire », sur la base du livret de Striggio : tombé sous le charme d’une bayadère vouée à Shiva, Orfeo l’enlève et l’épouse. Une Euridice affligée dépérit dès lors sous nos yeux, effacée et mutique (Hadhoum Tunc).

François Rancillac met en scène le spectacle dans un cadre sobre (fond de scène miroitant, rideau à tringle jouxtant la rampe), duquel se découpe la couleur primaire des costumes (Sabine Siegwalt). Si la partie précédant l’entracte sent le déjà-vu, avec cette joie niaise des noces baroques (linge immaculé, pétales vermeils, bougies), la suivante intéresse davantage. Ici, l’Inde n’est plus seulement l’apanage de la danseuse perdue dans le labyrinthe des Enfers, mais aussi celui de ses habitants, turban de cheveux et torse nu, à l’image de certains shivaïtes. Inquiétants à souhait, les esprits disparaissent sous de longs voiles rouges, munis d’invisibles clochettes.

Dávid Szigetvári défend le rôle-titre avec chair, profondeur et nuance [lire notre chronique du 13 août 2014]. Outre incarner des bergers avec les fidèles Johannes Weiss et Jan Van Elsacker [lire nos chroniques du 24 août 2011 et du 31 août 2005], Jean-Christophe Clair (Speranza) ravit grâce à un chant vaillant, rond et agile, et Hugo Oliveira (Caronte) par sa fermeté expressive. Jean-Claude Saragosse (Plutone) possède une basse sûre qui répond à la souplesse juvénile d’Harmonie Deschamps (Proserpina). Enfin, applaudissons une fois de plus Dagmar Saskova (Musica, Messaggiera), mezzo aux qualités infinies : ampleur, aisance, pureté, mais aussi tendresse et expressivité dans la berceuse de Merula (1595-1665) qui clôt la soirée en beauté, avec l’union les deux orchestres [lire nos chroniques du 6 octobre 2012 et du 24 janvier 2010].

LB